dimanche 20 février 2011

Bénarès : du 9 au 12 février 2011


Jour 2 : 10 février 2011

Aujourd’hui, à l’aube, rendez-vous avec Uma, notre guide française, qui nous emmène admirer le lever du soleil sur le Gange. 6 heures, avant même de déjeuner, nous embarquons sur notre petit esquif et nous nous laissons porter doucement par le courant – ce qui n’est pas tout à fait vrai vous dira le propriétaire de l’embarcation qui tire sur les rames - … 

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A nouveau, nous admirons les bâtisses qui se dressent le long de la berge mais, cette fois-ci, à une distance qui nous permet de mieux apprécier leur style architectural très « varié » : cela passe du fort militaire au palais en passant par les classiques habitations indiennes actuelles à savoir, les cubes en béton.









 

Il fait encore très calme mais les berges s’animent peu à peu avec l’arrivée des premiers habitants et pèlerins, les uns venus entamer le dur labeur de la lessive (les fameux dhobis wallahs : blanchisseurs) tandis que les autres procèdent à leurs ablutions et au rituel de la purification.














La longueur des rituels n’est pas exactement la même selon les castes : si celle des Brahmanes peut parfois durer jusqu’à une demi-heure (lecture des textes sacrés, salutation au soleil, récitation des mantras appropriés, triple immersion, ingurgitation des trois gorgées d’eau et enfin, offrandes aux ancêtres), celle des gens de basse naissance et des intouchables se limitera à quelques minutes avec la triple immersion, la récitation du mantra le plus simple : «Jay Gangâ Mâîkî, Jay» (« Gloire à notre mère Ganga »), et enfin les trois gorgées d’eau.

Comme vous l’aurez deviné, tous les ghats n’ont pas la même valeur spirituelle et religieuse : certains sont utilisés pour la lessive par les blanchisseurs, d’autres par les musulmans qui viennent juste y faire leur toilette quotidienne, d’autres encore sont exclusivement réservés aux brahmanes, aux yogis ou encore aux crémations.

Un des ghats de crémation


Le crématorium construit par les Français
Les deux ghats destinés aux bûchers funéraires sont les domaines des « Doms », les intouchables qui s’occupent de la crémation. Pour la petite histoire, il paraît qu’à une époque (désolée mais je ne sais plus laquelle), les français ont fait construire un crématorium à proximité afin, entre autre, de limiter les coûts d’une crémation ce qui, dans leur idée, pouvait aider les familles les plus pauvres qui n’ont pas toujours le budget nécessaire (le prix du bois dépend du bon vouloir du chef des doms). Inutile de préciser que ce crématorium n’a quasi jamais été utilisé, probablement parce que cela enlevait toute la symbolique visuelle de la purification, on ne balaye pas des centaines d’années de tradition d’un coup de baguette magique, mais aussi certainement parce que cela enlevait le gagne-pain de ce groupe d’intouchables, les Doms, qui vivent de ce commerce.
Seuls les adultes sont incinérés, les enfants, considérés encore comme des êtres purs, sont immergés dans le Gange. 


Notre premier arrêt se fera au Panchganga Ghât où nous aurons l’occasion de voir – de l’extérieur uniquement – une mosquée que l’empereur Aurangzeb (17ème siècle) fit construire, … après avoir démoli le temple Hindou qui s’y trouvait auparavant. Il paraît même que certaines pierres de l’ancien temple furent réutilisées pour la construction de la mosquée. A l’origine, il y avait des minarets (normal pour une mosquée me direz-vous) mais dans le courant du 19ème siècle, ils durent finalement être supprimés à cause de leur instabilité.











Panorama à partir de la mosquée

La mosquée avec ses minarets encore intacts



Ensuite, un petit arrêt auprès d’un marchand de thé. Dans la rue, en plein passage, le derrière coincé sur un étroit muret, nous avons dégusté un tchaï (thé à base de lait et aromatisé à la cardamome) et servit dans un godet en terre cuite … non traité … Rien que de tenir le pot, nos mains étaient saupoudrées de fines particules de terre, et les godets ayant été empilés, nous imaginions facilement la quantité de terre séchée qui devait être en suspension dans le thé. Mais quand même, c’était délicieux ! J’adore le tchaï.



Après cela, la visite de deux temples a encore donné l’occasion à Uma de nous parler de toutes ces divinités qui « virevoltent » au travers de la religion hindoue et parmi lesquelles, il faut bien le reconnaitre, nous nous égarons à qui mieux mieux. Personnellement, j’ai abandonné l’idée d’y procéder un classement quelconque, d’autant qu’Uma nous précise que les Hindous eux-mêmes s’y perdent à force de rajouter des variantes à leurs histoires. Nous nous étonnons parfois de constater que ces « temples », au niveau de l’architecture, ne ressemblent pas vraiment à l’idée que l’on se fait des édifices religieux. En effet, elle nous explique que pour un hindou, peu importe le lieu, c’est le rituel qui compte. Dans le cas d’un de ces deux temples par exemple, il s’agissait en fait d’une habitation privée dont le propriétaire avait fait don pour la transformer justement en lieu de culte.













Tranquillement, nous redescendons vers le Gange.

















Nous reprenons le bateau pour débarquer définitivement au Marnikarnika Ghat (Joyaux de l’oreille) et nous nous dirigeons vers les ruelles commerçantes, en passant par Jalsain Ghat, l’un des ghats de crémation.











Saris séchant au soleil à même les marches


Marnikarnika Ghat est le plus sacré des ghats de Bénarès. Il doit sa sainteté au puits sacré que Shiva a creusé en haut du ghat et qu’il a remplit de sa sueur quand il cherchait la boucle d’oreille que Parvati, son épouse, avait égarée. Dans ce bassin, les pèlerins jettent des offrandes de fleurs, de fruits ou encore de lait.



Par les rues étroites, nous atteignons le temple « Pashupatinath » construit dans le style népalais et dédié à Shiva. Les portes et fenêtres en bois sont richement sculptées.


En chemin, un scooter abandonné ...
... une chèvre à la recherche de son lunch













Nous continuons notre route vers le « Chowk » (le bazar) appelé aussi le quartier du Temple d’Or … Si je ne me trompe pas, c’est le fameux temple qui a été construit en 1777 pour remplacer celui que l’empereur Aurangzeb avait fait démolir pour y construire sa mosquée. Nous n’en verrons rien car il est fermé aux non-hindous mais nous avions pu voir une partie de ses dômes lors de notre promenade en bateau.

Nous poursuivons notre route et traversons maintenant les ruelles animées bordées de commerces en tous genres :

Le quartier des fromagers


C’est l’époque des mariages et certaines boutiques vendront, pendant toute cette période, des articles exclusivement destinés à cette célébration. Ensuite, ils vendront d’autres types d’articles, selon les fêtes du moment.

Les articles sont parfois confectionnés directement sur place ... c'est de l'artisanat
On dirait des vêtements de poupées ...
... ils sont en fait destinés à "habiller" les mini effigies des dieux et déesses

Des pots, des pt'its pots ...mais avec quoi dedans exactement ?


Notre pause lunch se fait chez un ami de Uma qui tient un magasin de tissu et qui, étonnamment, offre également des repas. Après toute une matinée à déambuler, ce petit espace nous semble bien confortable et particulièrement accueillant. En attendant notre « pitance », nous ne résistons pas au plaisir de fureter parmi les rayons et d’admirer toutes ces merveilleuses pachminas. Je m’étais interdit d’en acheter prétextant que j’avais déjà tout ce dont j’avais besoin mais que voulez-vous, je suis faible et me voilà donc avec deux pachminas et un châle supplémentaires dans les bras.


Sur ces entrefaites, le dîner arrive et la dégustation peut commencer. La plupart d’entre nous avait sélectionné la classique « Masala Dosa » mais Uma avait également commandé un Dahi wala végétarien, une recette à base de yogourt (Dahi = yogourt). Il y a souvent beaucoup de variantes pour les recettes mais dans ce cas-ci, il s’agissait d’un mélange de lentilles ou de pois chiche avec du yogourt et assaisonné, d’après Uma, avec du « Sena Namak » et « Kala Namak » (sel rouge et sel noir). N’étant absolument pas friande de tout ce qui ressemble de près ou de loin à des pois, je n’envisageais même pas d’y goûter. Bien m’en prit de changer d’avis car en définitive, c’était délicieux.



Repues et enchantées par cet intermède culinaire, nous voilà reparties sur les routes. Nous louons le service de 4 cyclo-pousses pour nous diriger vers le quartier musulman où nous allons découvrir les grandes étapes de fabrication des saris.


La première étape, et pas des moindres, consiste à monter et à teindre les fils de chaîne. Chaque fil de soie doit être vérifié afin qu’il ne se rompe par lors du tissage proprement dit. Si un fil semble endommagé ou prêt à rompre, il doit être renoué correctement. Inutile de préciser le travail minutieux que cela représente compte tenu de la finesse des fils. Chaque carré de couleur représente la surface d’un sari et on peut donc trouver près de 10 saris filés sur une même chaîne.


Nous voici maintenant devant l’atelier où, à la main, sont perforées les cartes de tissage qui définiront le motif du sari. Le principe est tout à fait similaire aux cartes perforées musicales ou encore à celles utilisées au début de l’informatique. Chaque trou perforé déterminera si le fil sera « relevé » ou « abaissé » durant toute la progression du tissage. Ces cartes sont fixées à un endroit précis du métier à tisser. Le modèle de la carte est fait de métal tandis que les cartes elles-mêmes sont en carton. Les trois hommes ici présents, deux jeunes et un plus âgé, travaillent tous à une cadence vertigineuse et les cartes s’empilent à une vitesse fulgurante.




Ensuite, nous découvrons l’atelier de tissage en lui-même avec aux commandes, derrière les métiers à tisser, de plus jeunes enfants. Dans un premier temps, il nous est difficile de dissimuler le malaise que cette vision nous inspire : voir des enfants au travail plutôt qu’à l’école …

Entre 10 et 12 ans probablement...
Les cartes perforées fixées au métier à tisser










 Toutefois, après avoir terminé de visiter l’entièreté de l’atelier, nous découvrons que c’est toute une communauté qui participe à cette réalisation et que probablement, en fonction des âges, chacun a une tâche bien déterminée. En effet, à l’étage ce sont les plus jeunes filles et les femmes les plus âgées qui s’occupent de la finition en coupant les fils excédentaires que l’on retrouve sur l’envers du sari, tandis que les jeunes hommes s’occupent de la clientèle (nous en l’occurrence), en déroulant fièrement, devant nos regards admiratifs, les pièces les plus magnifiques.












 

Toutes ces familles sont regroupées en corporation et véhiculent un savoir-faire de génération en génération. Cela s’apparente davantage à ce que nos grands-parents ont vécu à une époque où les enfants n’allaient que peu à l’école et où l’apprentissage d’un métier se faisait essentiellement par la pratique.

Maintenant, bien entendu, je reste d’avis que tous les enfants devraient avoir accès à l’éducation et je ne cautionne nullement la situation telle qu’elle se passe dans ce quartier mais je tenais simplement à souligner que si pour eux tous, et spécifiquement pour les enfants, cette vie est certainement difficile, c’est encore un autre type de situation que celle, abominable et inacceptable, où on exploite impunément des enfants mais aussi une population défavorisée entière … Car, si sur papier, le système des castes est soit-disant aboli, il en est tout autrement en pratique. Que ce soit les grandes compagnies étrangères qui « ferment » les yeux sur les conditions de travail des locaux qu’ils emploient ou même entre eux, voir comment certains Indiens traitent leurs compatriotes est plus que révélateur et laisse deviner qu’il y a encore bien du chemin à faire.

Après un passage rapide dans un ashram transformé en centre de production de produits ayurvédiques de toutes sortes, nous faisons un dernier arrêt chez un fabricant d’instruments de musique. Nous sommes ensuite invitées à partager un moment avec une famille de musiciens qui nous offre une demi-heure de musique et de chants. Précédemment, j’ai fait allusion à ces familles organisées en corporation, c’est le cas ici aussi. Il s’agit d’une famille entière de musiciens : le concert du premier soir a été donné par le fils du patriarche. Le patriarche (à droite sur la photo) chante, son fils (concert du premier jour) joue de la flûte et son petit-fils (en t-shirt jaune) joue du tabla, petits tambours.



Cette journée bien chargée touche à sa fin et il est temps de rentrer à l’hôtel.


A la fin de la soirée, c’est la tête remplie de toutes les choses captivantes que nous avons croisées, entendues, senties, touchées … que nous nous laissons gagner par le sommeil et que nous rêvons à ce que le lendemain nous réserve. 




Les pt’ites infos

Bénarès, l'ancienne Kashi, doit son nom de Varanasi, aux deux rivières, la Varuna et l'Assi qui s'y jettent dans le Gange, au nord et au sud.

Ghat : actuellement, cela désigne les escaliers menant à une rivière, un cours d’eau, … A l’origine, ce nom désignait simplement « un chemin » vers l’eau, une sorte de ponton en quelque sorte. Les escaliers à Bénarès par exemple ont été construits assez tardivement par des personnages riches et importants qui se sont fait construire des palaces et ont souhaité avoir un accès plus aisé à l’eau du Gange.

En Français, le Gange est masculin, … En Hindi, tous les noms de rivières, fleuves, … sont féminins.


Bénarès, Jour 3 : à suivre




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